miércoles, 8 de enero de 2014

FRANÇOIS-LOUIS SCHMIED, ARCHITECTE DU LIVRE




Les éditions Fata Libelli ont publié un livre intitulé «  Gustave Miklos : Un grand œuvre caché » signé principalement par Danuta Cichocka. La découverte dans les archives de Miklos d’un cahier sur lequel il chiffre son travail : « travaux pour François » et une série de croquis au crayon et en couleur relatifs aux livres de Schmied, servent à développer la théorie selon laquelle Miklos serait l’auteur de ces livres magnifiques, des illustrations jusqu’aux moindres détails.
Cependant, j’écris ces lignes parce que j’ai trouvé des incohérences suffisantes dans ce travail pour douter de la véracité de cette théorie : une approche unilatérale, résultat d’un enthousiasme exagéré pour Miklos accentué par la présentation de Schmied comme une sorte de méchant de mélodrame du XIXe, dépourvu de talent, de connaissances et de l’art « il n’estpas un artiste »lisons nous dans une page. Un oubli délibéré des travaux qui pourraient contredire la théorie exposée, l’absence d’une analyse des similitudes et des différences entre le travail signé Miklos et celui signé Schmied. Je vais justifier ce que j’ai dit.

François-Louis Schmied est né à Genève ( Suisse ) le 8 novembre 1873. Dès son enfance il est attiré par le dessin et par un Orient idéalisé dont son père qui a vécu en Algérie parle avec nostalgie. Bien que travaillant pour l’entreprise familiale, il trouve le temps de suivre des cours de dessin et de gravure. Il fut élève de Barthélémy Menn aux Beaux Arts de Genève. C’était un excellent dessinateur (voir ses portraits), il fit de très intéressantes estampes gravées sur bois en couleurs, tirées à une douzaine d’exemplaires. En 1895, il s’installe à Paris où il vit une vie de bohème et continue l’apprentissage des techniques de gravure et d’impression. Son ami jean Dunand le rejoint deux années plus tard. En 1914, malgré trois enfants à charge, Schmied s’engage dans la légion étrangère. Sur les tranchées de la Somme, il perd l’œil droit par un éclat d’obus.
 En 1911 parait la première plaquette de Schmied :  « Sous la tente » . Nous sommes en présence d’un illustrateur créant un décor différent pour chaque page, annonçant ses compositions futures.
En 1905, Paul Jouve est chargé par la société des bibliophiles « Le livre Contemporain » d’illustrer « Le livre de la Jungle » de Kipling. Les illustrations devaient être gravées à l’eau forte en couleurs, mais Jouve n’est pas familiarisé avec cette technique et n’obtient pas un résultat satisfaisant. Il choisit Schmied pour faire les gravures sur bois. La guerre a interrompu le travail et l’édition ne sera pas achevée avant 1919. Marcilhac précise que «sur 90 planches Jouve n’en avait fourni que 15, pour les autres, il s’était contenté de donner des croquis et quelques indications. Schmied choisit la mise en couleur pour la gravure et c’est à lui que l’on doit cet aspect raffiné et précieux». Le livre a été un succès et la société du Livre Contemporain lui fera de nouvelles commandes.
Schmied a décidé de s’installer à son compte et d’être peintre, graveur, imprimeur de ses propres livres. Le travail pour éditer un livre illustré de gravures sur bois en couleurs est énorme, il doit embaucher des assistants.
Son adresse, 74 bis rue Hallé, est un bâtiment de 4 niveaux répartis comme suit : au rez-de-chaussée, face aux fenêtres une longue table est réservée à la gravure, derrière sont implantées les presses à imprimer, au premier étage, une salle de réception, une bibliothèque et l’atelier de reliure. Au second, une salle à manger, une cuisine et des chambres, au troisième le studio de Schmied. P. R. Marcel lui a rendu visite à l’époque et a écrit : « J’ai passé une heure dans l’atelier de Schmied… Le silence imprégnait la rue et la maison. L’ordre règnait : grandes tables au bois luisant, presses anciennes dont l’acier brillait parmi la calme lumière. Une servante travaillait sans bruit… » On ne peut pas mieux décrire un environnement calme. Toutefois, les auteurs du livre estiment que cette ruche animée, bourdonnante, devait être peu propice à l’isolement créatif (page 60).







Examinons maintenant quelques livres avant l’arrivée de Miklos à l’atelier Schmied : « L’enfant à la charrue » avec le texte de Geneviève Maury, est le premier livre imprimé et gravé par Schmied, daté de 1918. Tout en conservant les vestiges du passé, en particulier dans les éléments décoratifs, le livre montre un bon équilibre entre le texte et l’image, la page est bien composée et les gravures sont intéressantes. Bien que Danuta Cichocka le trouve académique. « Paul et Virginie » de 1920 est plus intéressant, Schmied n’est pas l’imprimeur, mais l’auteur du frontispice et de certaines vignettes. La gravure en deux couleurs, représente un bon sauvage agenouillé à coté d’une palme schématique. Le fond, à ton clair est une décoration végétale, peut être le première fois qu’il a mèlé dans une gravure le figuratif et le décoratif, comme dans les miniatures medievales. Les vignettes sont intéressantes parce qu’elles sont les ancêtres de celles qui apparaîtront dans « Salammbo »

Deux livres, avec des illustrations de Georges Barbier sont parus en 1922 : « Personnages de comédie » et « Les Chansons de Bilitis ». Etant donné l’ampleur de ces œuvres, les travaux ont dû commencer avant 1920. George Barbier a décidé que c’était Schmied qui effectuera la gravure et l’impression. « Personnages de comédie » est un grand livre de 37cm x 28cm. Il compte douze gravures pleine page et de nombreuses lettrines décorées. Le texte n’est pas typographique mais calligraphié. Nous sommes devant un livre qui a toutes les caractéristiques de la production de Schmied du point de vue de l’impression : distribution parfaite de l’espace et harmonie entre tous les éléments du livre. De même pour « Les chansons de Bilitis », bien qu’ici le texte soit composé avec le caractère Della Robbia. De façon inattendue, tout cela est en capitales. Ce n’est pas un caprice : si quelque chose caractérise les livres de Schmied c’est la propreté typographique et la recherche constante de nouveaux effets, le texte forme habituellement un bloc compact agréable à l’œil, il n’est jamais lourd. Dans ce cas, les capitales composent des lignes homogènes couvrant la surface du papier, sans les petits bâtons des minuscules de haut en bas. Plus tard, il répétera l’utilisation des capitales seulement pour le texte, dans plusieurs livres. Souvenons nous qu´avant l´invention des minuscules au  VIIIe siècle, les codex médiévaux sont tous écrits en capitales, la Bibliothèque de Genève en possède quelques exemplaires.





Le 1er juillet 1921 se termine « l’Hotel-Dieu de Beaune » avec un texte de Léandre Vaillant.




Considérant qu’il travaillait sur quatre oeuvres à la fois, les deux livres de Barbier, celui de Jean Goulden «Salonique, la Macédoine, l’Athos» et les Climats, avec lequel il y a beaucoup d’affinités, ce dernier livre a dû commencer en 1920. Voici le germe de tout son travail ultérieur : illustrations aux couleurs vives, mise en page équilibrée, lettrines décorées, ornementation marginale, bloc de texte compact mais jamais lourd, jeu des espacements blancs du papier… La composition est basée sur deux pages, avec le déroulement des doubles pages du début à la fin, tout le livre étant une œuvre homogène et complète.
Gustave Miklos est né à Budapest en 1888. Il montre très tôt son don pour le dessin et pour la musique, il apprend à jouer du violon et de la cythare. En 1904, il s’inscrit à l’école Royale des arts décoratifs. En mars 1909 il décide d’aller à Paris ou il rencontre son ami Csaky. Intéressé par le cubisme, il suit les cours du peintre Henri le Fauconnier à l’Académie de la Palette, plus tard il va poursuivre sa formation dans l’atelier Jean Metzinger et fait partie du groupe de Puteaux avec Marcel Duchamp, Juan Gris, Sonia Delaunay, Gino Severini et d’autres artistes. Pendant la première guerre mondiale, il s’engage, comme volontaire dans la Légion étrangère incorporé dans l’armée de l’Est l’une de ses tâches était la restauration des monuments. A Salonique il restaure des fresques byzantines et approfondit la connaissance de cet art. La guerre terminée, il revient à Paris. Il connaît le travail de Gargallo, de Laurens, de Modigliani, les sculptures africaines. Tout va l’influencer et il cherchera un nouveau langage artistique, loin du cubisme. En 1920, il intervient pour le peintre Pierre Frémont sur des objets en émail, décorés en fonction de son nouveau style. En 1921, Jacques Doucet demande à Gustave Miklos de travailler pour lui, comme assistant du relieur Pierre Legrain. A cette époque, Miklos avait fait quelques expositions avec un certain succès.
En 1922, il commence à travailler pour l’atelier Schmied. Il tient un cahier où il chiffre son travail. C’est ce cahier qui a généré cette agitation. Quel est vraiment le travail ? Selon Danuta Cichocka, l’ensemble des travaux de Schmied : les illustrations, la mise en page, les lettrines, les vignettes, les culs de lampe, la conception des couvertures…absolument tout… Mais je ne le crois pas.
Nous avons vu qu’avant l’arrivée de Miklos, Schmied était un artiste avec de nombreuses œuvres graphiques, un maître graveur. Les meilleurs artistes se tournent vers lui pour graver leurs œuvres. Après la guerre, s’éloignant de ses précédentes productions, il trouve un nouveau langage dans « L’Hotel Dieu de Beaune ». Son monde, en bref, est l’édition de livres, où il a déjà réalisé quelques chefs -d’œuvre dans ce domaine.
Miklos, bien qu’il soit un artiste de talent, ses travaux ont été consacrés à la peinture, la sculpture et les objets décoratifs, son contact avec le monde du livre est voisin : comme assistant du relieur Pierre Legrain. Les auteurs du livre supposent, qu’ à partir du moment où il entre dans l’atelier Schmied, il commence à concevoir des pages géniales dès le début. Fidèles à leur peu de rigueur, ils lui attribuent « L’Hotel-Dieu de Beaune» livre terminé en 1921. La seule raison évoquée pour justifier cette attribution est sa ressemblance avec des livres postérieurs.
Après le succès du « Livre de la Jungle » les sociétaires du Livre Contemporain demandent à Schmied de réaliser « Les Climats » recueil de poèmes de la comtesse de Noailles, accompagnés chacun d’une illustration, d’un frontispice et de culs de lampe à la fin de chaque poème. Ce sera le premier grand livre de Schmied, continuation splendide de  «L’Hotel Dieu de Beaune»





En 1921, Schmied expose la maquette et les originaux des « Climats » à la galerie Georges Petit. Nous retournerons aux expositions de cette galerie, elles fournissent à elles seules suffisamment de preuves pour continuer à croire en Schmied. Dans l’illustration du poème «Un soir à Vérone» ils voient des statues de Miklos, en réalité il s’agit de statues classiques, esquissées, d’un jardin italien. Examinant l’illustration du poème «Octobre et son odeur» ici nous ne savons pas si les auteurs «oublient» les travaux antérieurs de Schmied pour le bénéfice de leur théorie ou si simplement ils ne les connaissent pas. Les gravures d’arbres, l’un de ses thèmes récurrents qu’il réalisa avant la guerre donne une idée de qui est l’auteur de ce livre. D’autre part, la décoration géométrique apparaît déjà dans les culs de lampe.
En 1922 Miklos arrive. A-t-il influencé Schmied ? sans aucun doute, et sans doute Schmied a aussi influencé Miklos. Comme nous le verrons, peut être Miklos apporte le géométrisme. Mais l’influence n’est pas le travail, ne l’oublions pas, l’influence est nécessaire pour les artistes, permet les changements, d’explorer de nouveaux thèmes, de créer un nouveau monde à travers les expériences d’autres personnes et non de stagner. Si l’influence était l’œuvre, Miklos devrait signer ses toiles cubistes sous le nom de Picasso parce que ce n’était pas lui qui découvrit le cubisme, ou sous le nom de Metzinger dont il a appris cette façon de peindre. Mais il signe de son nom et il fait bien. De même, si Miklos l’a introduit dans le géométrisme, Schmied peut signer de son nom, car ce qu’il a fait est de l’intégrer à son travail. Il faut noter que le premier livre de Schmied combinant le figuratif et le géométrisme est « Salammbô » il a seulement six gravures et sert de terrain d’essai pour explorer cette nouvelle manière d’illustration.
Quel est exactement le cahier de comptes de Miklos? « Travaux pour François » : travaux d’assistant, travaux d’artisanat, quel que soit le travail : passer à l’encre un dessin au crayon, travailler à la décomposition de plaques de couleur, peindre de laque un dessin de Schmied pour le coller sur une reliure, calligraphier manuellement un texte (Boudour par exemple, car des parties du texte sont écrites à la main), réaliser la coloration à la main de certains ouvrages tirés à peu d’exemplaires (Boudour, Histoire charmante de l’adolescente Sucre d’Amour), reporter la copie inversée du dessin de l'original sur le bois de bout afin de préparer le bois de trait pour le graveur, procéder à des retouches comme il y en a dans toutes les imprimeries d’art où il est nécessaire de retoucher les petits manques du repérage (pour la réalisation d’une gravure en couleurs, il pouvait y avoir plus de 10 passages)… Dans l’atelier Schmied il y avait beaucoup de travail. Pour chacun de ses travaux, Miklos annote une somme d’argent. L’habileté de Miklos l’a conduit à réaliser, sous la direction de Schmied, des travaux détaillés qui demandent certainement beaucoup de temps. En outre, Schmied l’adorait il l’appelait « le grand Miklos ». A notre connaissance Miklos également appréciait Schmied.
Alors, pourquoi cette agitation ? Tout simplement parce que les auteurs du livre ont cru voir dans ce cahier une confession voilée sur sa création personnelle de ces livres. A notre connaissance il n’a jamais dit ou écrit quelque chose à ce sujet. Il a vécu 26 années de plus que Schmied, temps suffisant pour pouvoir le révéler. A ce propos, sa veuve, Marie Louise Miklos à la demande d’un journaliste répond : « au sujet des 4 dessins dont vous parlez, je n’ai pas pu vous dire que je pensais que mon mari avait pu faire ses dessins pour son ami Schmied. Ce sont tout simplement 4 planches d’illustration d’un livre de Schmied :  Salammbô . Et à ce sujet, je vous prie, (comme je l’ai fait pour d’autres) de bien vous conformer à ce que je déclare ci-dessous : A savoir, que moi vivante, je m’oppose formellement à ce que le nom de Miklos ou même le mien soient publiés de quelque manière que ce soit relativement aux œuvres de Schmied, signées ou non. Donc ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit » Avant ce NON catégorique de la veuve de Miklos, les auteurs du livre voient un OUI retentissant. Enfin, enivrés d’amour pour Miklos et de haine pour Schmied, ils atteignent un paroxysme et parlent même d’omertà. Omertà ! Je suppose que l’omertà est une blague, Miklos a-t-il reçu des menaces de mort s’il ne fait pas ce qui lui est demandé ? Cette supposition est ridicule, ce n’est pas le Parrain, nous sommes dans un environnement d’artistes. Pas de révolver, pas d’omertà, pas de mystérieux accords défavorables pour une des parties, pas d’œuvre caché.

La découverte parmi les papiers de Miklos d’une série de croquis plus ou moins élaborés, liés aux livres, de photographies prises du Maroc par Schmied et pendant le voyage de Peau Brune. Que signifie tout cela ? Rien. Les croquis ne sont pas signés et pourraient bien être de la main de Schmied, et gardés par Miklos. (voir l’extrait de lettre de Schmied à Théo, du 16 janvier 1936, mentionné plus loin).

Les auteurs du livre n’ont pas approfondi les différences que l’on trouve parmi les œuvres signées par chacun d’eux : Nous essayons de trouver quelques différences : quand Miklos réalise un travail géométrique tout le travail est géométrique y compris la figure humaine. Schmied ne géométrise jamais la figure humaine mais les tissus qui la couvrent ou qui l’entourent : manteaux, robes, turbans, coussins… jamais les êtres vivants, sauf ceux que la nature a décoré : écailles de poissons, reptiles, plumage des oiseaux, les arbres et les fleurs. Nous pourrions consacrer un chapitre complet sur les arbres, peu d’auteurs les ont peints de manière si différentes. Les éléments du livre, lettrines, bouts de lignes, vignettes, culs de lampe sont géométriques. Peu à peu cette géométrie disparaîtra.
Comme ils ont des personnalités différentes ils faisaient des compositions différentes. Miklos était introspectif, mélancolique : ses figures, les yeux fermés ou à demi fermés, le regard replié sur lui-même montrent une quiétude statique qui frise presque la raideur et non des figures prises dans le mouvement à un instant. Schmied était un homme plein de vie, hédoniste, donc son œuvre est une exaltation continue du monde, pas d’état d’âme.








Non seulement ses figures ont du mouvement, on le trouve aussi dans l’eau et même dans les cieux, jamais représentés avec une couleur uniforme, mais traversés par des nuages ou même sans avec ce que nous pouvons appeler mouvement atmosphérique (par exemple dans les canons de la Mendoubia des «Chansons de Tanger »). En regardant la toile Saint François d’Assise, peint par Miklos en 1942, nous pouvons voir ce que je veux dire : une figure statique à bras ouverts, accompagnée de deux grands oiseaux , un jaune et un bleu, représentation du frère Soleil et de la sœur Lune, penchés, dans une posture immobile. Schmied n’a jamais peint une composition d’une frontalité et d´une symétrie si accentuées et sans aucun doute les oiseaux n’auraient jamais été placés la où Miklos les a placés, car les oiseaux, pour lui, même symboliques sont représentés dans une attitude d’oiseau : en volant dans le ciel ou perchés sur une branche ou posés au sol (le plus symbolique des oiseaux de Schmied, le Simourg du Paradis musulman est selon le texte        




du Dr Mardrus, une allégorie de l’âme de l’Adolescent, mais Schmied ne peint pas cette allégorie il peint le Simourg. D’autre part est ce un hommage à l’ami mort l’année précédente ? Je dis «ami» rappelant la déclaration ci-dessus, citée par la veuve de Miklos «son ami Schmied» n’oubliez pas que leur confrontation est une invention de Danuta Cichocka. C’est le saint de Schmied, il est sous l’influence de ses illustrations. Une autre toile de la même année peut également être un hommage : deux biches dans un sous bois. On retrouve ici quelques motifs récurrents de Schmied : le ruisseau sinueux, les arbres, les montagnes pointues, la biche. (« dans tous mes livres il y a une biche et une nuit » a dit Schmied dans le prologue de Peau-Brune un livre qui curieusement n’a pas de biche). Mais la comparaison avec les derniers travaux de Schmied «Chansons de Tanger» par exemple, avec des atmosphères profondes, respirables et la lumière africaine, mettent en évidence, encore une fois, la différence entre les deux.

Les auteurs du livre, comme tout le monde, soulignent l’extraordinaire variété de l’auteur qui joue sur tous les tableaux à la recherche permanente de nouvelles formules qui font qu’il n’y a pas de répétition d’un livre à l’autre, malgré un air unitaire, tous sont complètement différents. Après la mort de Schmied, pourquoi ce torrent de créativité changeante disparaît ?

Parlons maintenant de l’une des grandes incongruités. A partir de 1921, Schmied et ses amis exposent à la galerie Georges Petit. Il présente des originaux et maquettes de livres en projet pour obtenir des souscripteurs. Certains colophons mentionnent la date des expositions. Voici quelques exemples relevés dans des catalogues de l’époque :


TITRE ET DATE DE L´EXPOSITION                                  ANOTATIONS CAHIER DE MIKLOS

-Les climats.......................1921..................................1923, Londres 700 F, Cigogne 500 F, etc...

-Les douze Césars.............1922.......................1923, titre Césars, 400 F, reliure Césars, 1.000 F

-Le Cantique des cantiques....1923................................1926, 3 acquarelles pour le cantique, etc

-Les ballades françaises.... 1925 …................................................. travaux commencés en 1926

-La Création …..................1926 ….....................1927, Commencé le 2 mai , fini le 19 décembre

-Ruth et Booz...................1927 …............... commencé le 3 octobre, terminé 19 décembre 1929

-Paysages méditerranéens....1929 …........................................... commencé le 23 mars [1932]

       Nous voyons que les travaux de Miklos commencent quelques mois après l’exposition de la maquette du livre et des originaux . A noter aussi que les derniers livres ne figurent pas dans le cahier de Miklos : « Tapis de prières », «Prométhée enchaîné», «l’agneau du Moghreb» et «Vol de nuit », livre inachevé de Schmied qui a peint seulement huit gouaches, finissant le travail, son fils Théo ajouta vingt quatre gouaches. Il reste encore inédit.








D’ailleurs, les feuilles trouvées parmi les documents de Miklos sont intéressantes, les auteurs du livre les reproduisent sous le titre « Chansons de Tanger » : L’édition définitive de ce livre n’a rien à voir avec cette esquisse, intitulée « Fais nous un you-you » qui peut être était une première version d’une des chansons, mais cette chanson n’est pas dans l’exemplaire unique conservé à la BNF. La mise en page diffère beaucoup, la lettrine « F » prend toute la page et fait partie de l’illustration, alors que dans l’exemplaire définitif l’illustration et le texte sont réalisés sur des papiers différents, les lettrines réduites à une capitale légèrement plus grande que le reste du texte, inscrite dans un petit rectangle de couleur au début de chaque chanson.

Nous pouvons continuer à parler des erreurs du livre, ainsi Mme Danuta Cichocka, sans preuves, écrit à propos de Schmied :
« en fait, il a commencé à voyager très tardivement, après ses 60 ans, à la fin de sa carrière (contrairement à ce que ses biographes ont voulu nous faire croire), peu avant son exil marocain. »
De notre part, nous pouvons affirmer qu’il a réalisé les voyages suivants (sources : BPU de Genève et lettres de Schmied) :

1904 : La mère de Théodore David offrit à Albert Angst, Jean Dunand et François Louis Schmied un voyage en Italie en mémoire de son fils et de Madame Dunand morts de phtisie. (Pise, San Gemignano, Sienne, Florence, Rome, Naples et Venise).

1914: Après un voyage en Italie et en Grèce, Schmied et Dunand partent aux Canaries et aux Açores avec un ami commun.

1927 : Voyage aux Etats Unis à l’occasion de son exposition chez Arnold Seligmann .

1928 : Tunis.

                   1929 : De février à octobre : Peau Brune, de Saint Nazaire à la Ciotat : Espagne, Portugal.

1929 : Novembre : voyage en Grèce.

Vers les années 30, il séjournera en Algérie et au Maroc.

1933 : Croisière aux Antilles, au Surinam, à Haïti et au Venezuela, avant de s’établir au Maroc.


F.-L. Schmied dans un de ses ouvrages, qui lui est le plus personnel puisqu’il en a écrit le texte et fait les illustrations à partir de son expérience vécue, s’est exprimé dans « présentations » au début de « Peau Brune » sur sa conception:
la typographie et l’illustration essayent de ne faire qu’un, selon une douce manie. Je n’ai pu me résigner à orner mon architecture de graphiques esquissés. Les caractères d’imprimerie sont des matériaux constructifs longuement étudiés et savamment établis, il sied mal de les décorer d’un graphisme sommaire. Ou alors, l’illustration ne pourra figurer qu’en annexe de la typographie. Cette dernière formule d’ailleurs est fort à la mode, elle a ses chefs-d’œuvre, mais n’en est pas moins un indice de décadence. Peut être me reprochera-t-on l’apparent déséquilibre de mes pages ? Déséquilibre : non. Asymétrie : certainement, j’en ai le goût. Il m’a toujours semblé que la symétrie était le reflet de la paresse d’esprit qui se contente de n’inventer que la moitié ou même le quart d’une œuvre. L’asymétrie demande un effort plus soutenu et varié. Un noble décor ne saurait être fragmentaire, c’est à dire répétition d’un motif à extension illimitée. Il doit dérouler son rythme propre et complet sur la surface donnée…
Et pour en finir : un chant pour ma chérie, la gravure sur bois ! On l’esquinte la pauvre, on voudrait l’asservir aux imitations en trompe-l’œil…Le burin te caresse ou te violente, distribuant la lumière. Et voici les bleus horizons marins, les ciels calmes, les profils lointains des montagnes. Voici les rouges voiles triangulaires, voici les gris des architectures… formes nettes s’inscrivant à leur place avec la valeur qui leur est assignée…entrez, petits bois dorés, dans la ronde des lettres vos sœurs et jouez librement avec elles sur le stade blanc de la page.




Pour finir, voici quelques extraits de lettres adressées à son fils Théo et autres amis qui montrent une fois de plus qu’il réalisait lui même ses maquettes et qu’il surveillait de près la transcription gravée sur bois en couleurs de ses originaux.

·                     Lettre non datée
J’ai bien reçu le Kalife qui m’a fait très bonne impression. Je ne vois pas bien ce que tu as à y ajouter n’ayant pas mon original mais prend garde de ne pas l’alourdir. Il est très bien comme ça.
·                     Tunis 1928
… Moi je me suis mis au travail le premier jour et je crois bien que j’abattrai ici les esquisses de l’Abencérage…
·                     Lettre non datée
Si tu veux mettre debout « La Vérité » tu peux commencer d’après ma maquette, mais ce n’est qu’en cas d’urgence car j’aimerais revoir cela avec toi.
·                     La Corrogne - 21 août 1929
je n’ai tout de même pas perdu trop de temps , j’ai dessiné beaucoup et j’ai tenu à jour mon journal
·                     Barcelone - 5 octobre 1929
j’ai bien travaillé mon journal. Je ne sais ce qu’il vaut, j’y ai travaillé avec conscience chaque jour
·                     Baudin – Jura – février 1932
Je viens de finir l’arbre. Il est beau de couleur et de valeur mais assez mauvais de matière…j’ai sauvé l’arbre et les chemins de croix…

·                     Safi - 16 janvier 1936
Je n’ai pas trace de nouvelles non plus de Miklos,  il devait montrer mes tableaux aux Jacques André. Les lui as-tu portés ? Donne lui également les trois anciens : 1° Kasba du Dadès avec montagnes garances au fond et une partie de mur en pisé ornementé au premier plan.- 2° La grande Kasba de Ouarzazat. 3° Le petit Ouarzazat avec grande partie dans l’ombre
·                     Lettre non datée - Maroc
je m’en tiendrai aux 6 paysages que je t’ai envoyés et que tu as dû recevoir depuis ta lettre. Nous remettrons donc dans l’album 4 des refusées… Des cinq épreuves que tu m’as envoyées une seule (entre nous) sans aucune intention de t’ennuyer a trouvé grâce à mes yeux : « les mornes jaunes avec les arganiers» justement celle que tu me dis vouloir reprendre, reprends la si tu veux mais pas dans le sens que tu m’indiques. L’arganier de premier plan pris dans cette masse d’ombre doit être légèrement éclairci quant à ses parties vert-bleues. La technique de cette planche me convient tout à fait et c’est celle que je t’avais instamment recommandée d’adopter. Le panorama de montagnes jaunes et la montagne verticale orange ont des parties traitées en coups d’outils conventionnels que Rothschild appelait avec raison « macaroniques »…
·                     22 mai 1937– Rabat
Depuis je lui (Lucien Graux) ai envoyé les deux feuilles qu’il réclamait pour sa suite de Ruth, même silence…
je ferai tout de suite la maquette et ce sera la première chose à mettre sous presse. Il faudrait que tu puisses la prendre le 1er juin. Les deux planches seront faites dès que j’aurai lu le texte…
·                     7 novembre 1937 - Maroc
Je t’écris au fur et à mesure ce qui me passe par l’esprit concernant nos travaux. Je viens de revoir les pages de Faust… …garde toi des résultats lourds pour trop vouloir imiter la maîtrise de mes originaux…
·                     11 janvier 1938 – Rabat
… Je me réjouis de recevoir les nouvelles feuilles de Faust…Elles sont très justes de ton et de valeur c’est leur principale qualité. Je te reproche encore de faire trop de travail de gravure, notamment sur les « remparts » le paysage de fond est parfait mais le travail des remparts eux mêmes est trop apparent et inutile puisqu’il n’est pas beau en soi ni ne donne une belle matière aux murailles. Marguerite et Faust sont très bien de valeur d’ensemble…
A la suite de la crise, la situation financière de F.L.S. devint très difficile, il fit même un emprunt à G Miklos en 1937 :
·                     Lettre du 4 octobre 1938 de F.L.S à Jacques André.
Miklos m’a prété 6000 frs l’an dernier, quant je suis rentré en France, sur ce qu’il avait touché à l’exposition. Rendez lui cette somme et envoyez moi deux mille francs. Vous me soulagerez ainsi d’un grand souci, vous aiderez notre grand artiste et vous ne me laisserez pas complètement démuni. Pour cette somme, je vous donnerai dix de mes meilleures études du Maroc dont certaines sont aussi poussées que mes tableaux.
·                     décembre 1938 – Rabat
Tu auras 2 planches avant la Noël. Pour celle que tu as je te recommande de ne pas abuser des jaunes persans, même en mélange l’élément jaune domine trop. Le premier plan de gauche est peut être trop puissant de valeur, ne l’exagère pas…
·                     Lettre non datée
Je vais t’envoyer les premières planches de Prométhée. Le caractère que j’avais prévu (celui de la préface du Sud Marocain) est trop mince pour mes illustrations que je veux tenir dans le style sévère un peu comme le Daphné. Il faudra donc reprendre le cheltemham.
·                     Lettre non datée - Rabat
Je sors de l’hopital… Je t’envoie les originaux de Prométhée…
·                     Lettre non datée - Maroc
Je lui (Hesse) ai envoyé il y a 17 jours 9 originaux pour les chansons de femmes arabes…Il ne m’a pas accusé réception . Je lui demande de me renvoyer d’urgence ces originaux…
·                     Lettre non datée - Maroc
Je t’enverrai samedi les originaux qui m’ont été très utiles ici…à partir de septembre pour mettre au point tout de suite les « Chansons de Tanger » pour les bibliophiles marocains. Je leur ai filé les aquarelles refusées par cet animal de Hesse…
·                     Lettre non datée - Maroc
… Les blancs indiquent toujours des silences ils sont nécessaires…
… J’ai rétabli celui de la page 18. La page comporte un grand blanc entre nœuds savants et PROMETHEE…
… Au sujet des planches que j’ai reçues, elles sont bien de couleurs mais il ne doit jamais rien avoir de « vasouillard » dans les traits qui doivent être incisifs et d’une grande pureté
·                     28 octobre 1939 - Marrakech
si tu peux imprimer…à un exemplaire sur papier japon nacré, vingt petits poèmes, (une page, deux pages au plus par poèmes). J’ai un client qui prendrait ça avec des aquarelles que j’ai faites à Rabat et Tanger…
·                     décembre 1939 - Tahanaout et janvier 1940 - Rabat
Je reviens à Prométhée…
J’ai ici la maquette complète que je vais t’envoyer par Michel André à Marseille…
La couverture sera blanche ou ton pierre avec notre marque grand format imprimée en gris extrêmement léger ou mieux en relief. La flamme seule sera rouge
Le souvenir que j’ai de tes gravures est que tu as trop concrétisé mes compositions…
·                     1940 - Rabat
Vois très sérieusement tes pages de texte . Rends les aussi homogènes que possible…Il faut espacefiner les mots pour éviter par exemple les couloirs que je te signale sur les feuilles que je vais te renvoyer.
Dans la gravure, tu as une tendance à vulgariser les tons. Quoique l’ensemble me plaise et que je reconnaisse ta conscience. Il faut faire attention aux détails qui souvent servent de repaire aux amateurs. Il faut éviter les mollesses et les indécisions comme dans la main qui tient l’arc d’Héraclès. Si tu ne peux les obtenir il faudra absolument retoucher.
Le rouge des personnages doit être légèrement plus soutenu, je veux dire plus foncé.
J’aime la pagination comme corps mais il faut l’imprimer de la même couleur que les personnages. Comme place aussi, c’est bien.